Championnat de France 2023 : Carnet de bord d’Antoine

Du samedi 19 août au dimanche 27 août 2023, j’ai participé au Championnat de France toutes catégories qui se déroulait à l’Alpe d’Huez. Il faut dire que le cadre pour la compétition était vraiment magnifique.

Avec un classement de 2163 Elo, je ne pouvais pas jouer dans l’Accession, réservés au plus forts joueurs. Ronde 1, j’étais classé neuvième de l’Open A, sur 130 joueurs (classés entre 1950 et 2200 Elo).

Voici ci-dessous le résumé de mes journées et de mes parties, où j’ai essayé de retranscrire au maximum mes pensées et émotions, ainsi que mon quotidien.

Samedi 19 août

Pour rejoindre le lieu du championnat, le trajet est long, et le tournoi commençait samedi à 15h00. C’est pourquoi mon père et moi avons dormi sur la route le vendredi au soir. Samedi matin, réveil à huit heures et nous faisons les 3h30 de route qui nous restent. Heureusement on arrive vers midi, autrement on serait mort de chaud !

On prend la location puis on va pointer à la salle, où on retrouve l’arbitre et président du club Maubuée Gondore Echecs, que l’on connaît bien. Je reçois de la part des organisateurs le livre “Le jeu stratégique aux échecs“, de Jacob Aagaard, dont mon père a saisi les diagrammes au cours de la semaine.

Pour cette première partie, pas le temps pour une prépa, j’affronte un joueur d’une vingtaine d’années, classé 2018 Elo. Après une partie maîtrisée, je gagne grâce à une belle combinaison :

Belle mise en jambe pour le tournoi, demain je pourrai commencer à prendre une routine avec déjà un point de marqué !

Dimanche 20 août

Réveil vers 09h30, ce qui n’est pas dans mes habitudes. J’ai vu la veille au soir que j’affrontais un joueur classé 2034, qui avait tout de même battu la tête de série de l’Open, un jeune de mon âge avec qui je m’entends bien. 

Pas beaucoup de parties dans ma base de données, je regarde sur Internet mais malheureusement les compétiteurs sont aujourd’hui tous avertis de ces chasses aux informations, et je ne trouve rien. Je préfère m’aérer un peu et on part repérer un magasin pour acheter de quoi tenir la semaine.

Partie à 14h30, je m’installe table 6 avec les Noirs, j’ajuste mes pièces et on commence. Dès le deuxième coup, mon peu de préparation tombe à l’eau. Pourtant, dès l’ouverture je gagne un pion et j’obtiens une position très avantageuse. Mais petit-à-petit je me relâche – grave erreur ! que je me suis promis de ne pas répéter – et par une jolie manœuvre mon adversaire récupère son pion. Puis face à son jeu précis je manque de répartie et je finis par perdre. Le soir, un peu de regret, certes, mais je m’efforce de passer à la suite.

Lundi 21 août

Encore un lever tardif – je ne serai pas matinal de toute la semaine ! Belle réaction après la défaite de la veille : le tournoi est si homogène que tout est encore possible. Je me prépare 2 heures le matin sur une variante : j’ai envie d’une partie chaude et très tactique.

Et ça ne manque pas ! Mon adversaire tombe droit dans ma prépa et se trompe peu après le quinzième coup. Quelques coups précis suffisent et je repars avec le point. Bon, le tournoi est relancé, j’ai bien réagi à ma défaite d’hier et je remets “la marche en avant”.

Mardi 22 août

Pour la première fois je fais vraiment appel à mes entraîneurs, Roudolph Grigorian et Quentin Loiseau – que je remercie au passage pour leur soutien tout au long du tournoi. Je suis en effet opposé à un jeune de ma catégorie que j’avais déjà battu avec les couleurs opposées en avril à Agen au Championnat de France Jeunes. Je me mets d’accord avec eux et puis je sors faire un tour.

Je me retrouve table 14, les arbitres ont disposé des petits chevalets à côté de chaque échiquier. Nous rentrons dans une ouverture que je suis en train de travailler, après quelques complications tactiques je trouve un joli sacrifice de Fou qui me permet de prendre l’avantage et je finis par gagner. A la joie que j’éprouve à ce moment, je me rends compte à quel point j’étais stressé par cet affrontement !

Après la partie, je discute avec Yanis, camarade du club super sympa qui me devançait d’un demi-point à la ronde précédente et que j’ai réussi à rattraper : 3/4 pour chacun ! Puis je rentre lire un peu et je me couche tôt de sorte à avoir toutes mes chances le lendemain.

Mercredi 23 août

La veille, j’apprends vers 21h00 que j’affronte un ancien 2200 Elo F. Après mon petit-déjeuner, je révise trois ouvertures.

Mon adversaire se décide finalement pour une variante que je n’avais pas revue. Nous tombons très vite en manque de temps et il prend un léger avantage, mais dans le zeitnot je parviens à enfermer sa Tour noire en h3 – oui, oui, en h3 ! – et à gagner une qualité. Je gagne la finale avec peine, mais il fait une erreur tactique qui me permet de troquer ma qualité d’avance pour une pièce de plus. je souffle un grand coup et je sens la pression retomber : j’ai gagné !

Les appariements tombent assez tôt ce soir-là, et je découvre que je joue à la table 1 contre le leader du tournoi alors seul en tête à 5/5, avec les pièces les pièces blanches. Il est pourtant classé 1978, l’un des plus petits Elo du tournoi ! Pour évacuer la pression je sors faire un tour dans la ville avec mon père. Puis j’écris à mes coachs pour avoir leur conseils.

Jeudi 24 août

Le match crucial arrive. Je n’ai pas très bien dormi cette nuit-là, et pourtant je ne me sens pas fatigué. Je m’installe à l’échiquier retransmis, je ne sens pas le stress monter. C’est ma première partie du tournoi sur un échiquier DGT.

Les arbitres font leur speech et la ronde est lancée. Dès le début mon adversaire me surprend, en jouant une variante rare. Sûrement une prépa maison. Pourtant, je réponds bien, essayant de comprendre les différences avec les positions que je connais. La partie avance mais, au moment critique, je fais un mauvais choix : il fallait lui autoriser un pion passé protégé pour pouvoir compter en suite sur une meilleure structure. Or, j’ai décidé de me lancer dans une attaque contre son Roi, pensant qu’il s’acharnerait à l’aile Dame. Mais mes pièces n’ont pas eu le temps de passer la 5ème rangée : déjà ses pièces attaquaient toutes mon centre affaibli et, en crise de temps, je n’ai pas réussi à défendre.

Sur le chemin du retour, j’essaye de me remettre de la masterclass que je viens de subir, mais la défaite est très violente. Mais qu’importe ! Il reste encore trois rondes à jouer, et trois points à marquer ! Il ne faut pas que je baisse les bras ! Pour me changer les idées, je lis quelques nouvelles de mon livre “Le K” de Dino Buzzati.

Vendredi 25 août

La nuit a porté conseil et le moral m’est revenu. D’ailleurs, je reçois un appel de Yanis qui finit de me réconforter. Qu’est-ce qu’il peut être drôle, parfois ! Puis je retourne à ma préparation. La motivation est revenue. Je décide de la faire plus light ce jour-là, pour me changer les idées et arriver en forme à la partie. Je révise simplement mes lignes sur une ouverture que je pressens.

Mais arrivé devant l’échiquier, on joue évidemment une variante que je n’avais pas dans mon fichier ! Enfin, il faut dire que mon adversaire est extrêmement sympathique. C’est un ancien cristolien qui avait arrêté les échecs pendant huit ans et s’est remis en 2016. Nous discutons un peu avant la partie : nous jouons à côté de Yanis et en plus Gabriel (autre jeune du club) est aussi à côté. Il nous donne des anecdotes sur le club de Créteil (Montée en N1 jeunes avec Xavier Parmentier). Puis la ronde commence.

Partie compliquée, mais je m’en sors avec une combinaison autour d’un joli tableau de mat.

Quel soulagement ! cela fait vraiment du bien de gagner une partie lente quand elle a été aussi bataillée ! Après la partie, et c’est la seule fois du tournoi, je vais analyser avec lui dans la salle dédiée.

Après cette belle victoire qui me redonne toute ma confiance en moi, je passe une belle soirée. Le lendemain je jouerai contre une Maître Fide Féminine et je sais que j’aurai de quoi me préparer : elle doit avoir au moins 250 parties dans la base de parties !

Samedi 26 août

Après avoir avalé mon bol de céréales, je me mets au travail. J’ai prévu de revoir deux ouvertures. Je suis assez en confiance, je sens que je peux marquer mes deux derniers points. Quelle soulagement de tomber juste dans sa prépa ! Mais après une poussée de pion visant à ouvrir le jeu, mon adversaire décide de bloquer la position en opposant tous ces pions aux miens à l’aile Dame. C’est une possibilité que je n’ai pas trop regardée et je prends beaucoup de temps. Je ne me sens pas très à l’aise avec ma position, et je finis par gaffer, laissant sa Dame rentrer dans mon camp en f6. Ma position a l’air complètement perdue, et en plus je n’ai plus que 20 minutes pour m’en sortir ! Alors je vois mes objectifs partir en fumée et c’est un grand choc.

Au bout de cinq minutes je me ressaisis, j’observe la position pour trouver une ressource. Heureusement, un pseudo-sacrifice de Cavalier me permet d’échanger les Dames et de “tenir la barraque”, si je puis dire. Mais la Maître Fide prend l’initiative et attaque ma chaîne de pions affaiblie. Mais j’arrive à tout défendre, et en s’acharnant elle oublie qu’elle a un pion d’attaqué et cette erreur rebat les cartes. Finalement, après le stress d’une finale calculée en zeitnot mutuel, je parviens à amener un pion à promotion. Quelle partie ! On croirait presque que j’ai fait exprès de me mettre mal !

Bon, je savoure tout de même ma victoire, même si je sais qu’il va falloir continuer à travailler pour éviter de telles erreurs. Pendant la partie des opens, se jouait la deuxième partie lente des Nationaux, et j’apprends que nous avons un nouveau champion de France 2023. Le soir mon père et moi allons donc à la salle le saluer mais il est déjà parti. Au moins nous aurons fait un tour !

En rentrant, je découvre que j’affronterai pour la dernière ronde l’un de mes plus grands amis parmi les jeunes de ma génération, classé 2189. Lui, moi ainsi qu’un autre sommes à 6 points sur 8, tandis que cinq autres ont 6,5. Je sais que ce sera un match difficile et à enjeu, d’autant que la ronde est à 10h00, moi qui me réveillais jusque-là à 09h30 ! Je me couche tôt, par conséquent, confiant car je mène 2 à 0 dans nos rencontres, et déterminé à faire une grosse partie.

Dimanche 27 août

Réveil à 08h30, ou plutôt 08h28 le temps de se lever. Je suis hyper enthousiaste. Je me tartine les lignes que m’a préparées Quentin exprès pour cette partie. J’ai hâte de les jouer ! L’objectif était d’une part d’éviter la préparation adverse, mais aussi de l’entraîner dans une position inconfortable pour lui.

Quand j’arrive à la salle, l’ambiance est électrique. A midi se joueront les départages en rapide, blitz et Armageddon du National féminin et des parties pour la troisième place.

Au niveau des tables retransmises (je joue table 4), je me crois à Agen au Championnat de France des Jeunes : six benjamins (-14 ans) s’affrontent sur les tables 1, 2 et 4. En effet, avant la ronde 9, la grille américaine place mon adversaire de la Ronde 6 en tête, suivi de près par six benjamins d’affilée ! C’est vraiment impressionnant ! Nous nous connaissons tous et c’est un plaisir de nous affronter pour la première place. Je salue mon adversaire mais néanmoins ami qui arrive, et je pense à mon père qui a travaillé sur des lignes d’ouvertures, jusqu’à 2h du mat, et qui va devoir ranger et libérer le studio pendant mon absence !

Enfin, la partie commence. Nous nous retrouvons très vite hors-prépa tous les deux. La partie est rude, je me lance dans une entreprise de gain de pion que l’ordinateur n’approuve pas parce qu’elle lui procure bien trop d’activité. Mais il ne saisit pas sa chance et j’arrive à créer un réseau de mat à le concrétisant en trouvant un puissant e5. Mon adversaire garde le sourire, il blague en déplaçant son Fou sur la mauvaise couleur pour faire échec ! Qu’est-ce qu’il est bon joueur !

En rejoignant mon père, je suis fou de joie. après ma défaite ronde 2, je ne m’attendais pas à finir avec 7 points ! Ma place dans le classement se joue selon les résultats des autres benjamins, mais qu’importe ! Je suis assez content de mon tournoi (je finis 4ème finalement), fier surtout d’avoir gagné mes deux parties sur de nouvelles ouvertures, que je commence tout juste à étudier.

Aide :

Les points gagnés à ce tournoi devrait me permettre de passer la barre des 2200 Elo en septembre. Quelle joie !

Nous rentrons avant la remise des prix, parce que nous avons du chemin à faire, et cette nuit-là, je dors bien.

Lundi 28 août

De retour à la maison, je souhaiterais remercier mes coachs, Roudolph et Quentin, mon père qui m’a magnifiquement accompagné pendant tout le tournoi, ma mère et ma sœur qui m’ont soutenu par téléphone, et puis Hélène et Florian qui me permettent de publier cet article.

Maintenant je n’ai plus qu’à me remettre au travail, pour préparer le Championnat d’Europe en Roumanie !

Une réflexion au sujet de « Championnat de France 2023 : Carnet de bord d’Antoine »

  1. Très interessant. A renouveller. C’est la 1ere fois que je lis des commentaires d’un jeune champion. Dans le passé deux champions dont je crois Topalov avaient joué une partie amicale avec un casque et exprimaient leurs pensées à chaud, l’adversaire n’entendant pas à cause du casque mais le public oui. Dans les diagrammes d’Antoine juste un bémol on s’y perd un peu parce qu’il n’est pas précisé les blancs ou noirs jouent. Sinon très bien. Merci Antoine
    Charles

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